Par Yann Yvinec, auteur du roman « La Dernière Conquête, Prémices d’un monde sans argent. »
C’est vers l’âge de 35 ans que j’ai commencé à réfléchir à la possibilité d’un monde sans argent.
J’ai cherché toutes les raisons qui pouvaient rendre impossible sur un plan pratique un modèle de société coopératif, pour m’apercevoir au final que ce modèle est réalisable et qu’il consiste en une logistique partagée des besoins et des ressources. Un modèle de société réalisable n’est donc par définition pas utopique.
L’unique utopie réside dans l’idée que l’élite au pouvoir, celle qui régente d’une main de maître les affaires financières et géopolitique du monde, accepte cette nouvelle économie sans aucune opposition. Le terme utopie prend alors ici le sens de « limites » à la réalisation d’une nouvelle forme d’économie.
Les réflexions portant sur une société sans argent portent sur trois thèmes majeurs :
Pourquoi une société sans argent ? Comment s’organise-t-elle ? Comment transiter vers elle ?
Pourquoi une société sans argent ?
Désastre écologique, guerres, chômage, insécurité, corruption, surpopulation, etc. Il ne faut pas être très intelligent pour comprendre que l’argent est à l’origine de tous ces problèmes.
Parmi ces problèmes qui ne feront qu’empirer, je suis touché par les guerres servant à alimenter les lobbies militaro-industriels ainsi que par la misère présente dans un grand nombre de pays. Plus encore : la condition animale, inadmissible. Que ce soit au cœur d’une nature dévastée ou dans les entrailles de l’agro-industrie, des milliards d’animaux vivent et meurent chaque jour dans des conditions inadmissibles.
Jeune papa, tandis que j’apprenais à mon fils le nom des animaux et qu’il découvrait leur beauté et leur variété, je savais que je le trahissais, beaucoup de ces animaux sont en voie d’extinction. Pourquoi ? Pour le profit, uniquement.
Mais peut-on en vouloir aux marins qui déposent des filets de 50 kilomètres de long chaque jour pour ratisser les océans ? Peut-on en vouloir aux CRS qui fracassent le crâne des manifestants ? Dans un sens non. Ils ne font qu’obéir aux ordres pour payer leurs loyers et pour faire vivre leur famille. Mais dans une société sans argent, pensez-vous qu’ils accepteraient cette situation. Je ne le pense pas.
Dans un système basé sur l’argent, il faut se battre pour faire sa place. Comme dans la nature animale, il y a des dominants et des dominés. Beaucoup pensent que la pyramide sociale, avec ses dirigeants, ses cadres supérieurs et ses employés, est normale car elle est à l’image du modèle présent dans la nature. Plus humaine, une société sans argent ouvre au paradigme d’une société en cercle, dans laquelle chacun contribue au bonheur de l’autre. Elle est le prochain pas de notre humanité.
Face à l’importance des défis futurs que la classe politique ne résout pas, notre époque demande une transformation impliquant de repenser nos institutions en fonction de ce dont nous avons véritablement besoin. Le modèle d’une société sans argent repose sur une logistique partagée des besoins et des ressources. Il est le seul qui apporte une réponse à 99% des enjeux que connait actuellement notre humanité et il pourvoit aux besoins fondamentaux de chacun. Au-delà de ces points capitaux, il offre à chacun une existence basée non plus sur la compétition mais sur le lien social, avec l’assurance de voir satisfait l’ensemble de ses besoins fondamentaux.
Comment s’organise une société sans argent ?
Son organisation forme un sujet qui est souvent difficile à expliquer. Ma contribution repose sur le modèle des sept besoins fondamentaux, qui pose les bases de l’organisation d’une société sans argent en permettant de l’expliquer simplement aux personnes que je rencontre. De quoi chaque personne a-t-elle besoin fondamentalement pour s’épanouir sur le plan matériel ?
1/ un logement confortable.
2/ une nourriture saine.
3/ une éducation holistique.
4/ des soins de santé performants.
5/ l’accès à l’ensemble des biens de consommation utiles au quotidien.
6/ l’accès à toutes les formes d’activités de loisirs et de divertissements.
7/ la garantie d’une retraite sereine.
Ces sept besoins fondamentaux constituent le droit inaliénable que chaque personne doit disposer durant sa vie. En échange, les personnes actives offrent en moyenne quatre heures par jour à la réalisation de ces sept besoins. Il suffit d’adapter leurs emplois du temps en fonction des besoins de la collectivité. Voici la description succincte de chacun de ses sept besoins.
– Logement : Les personnes œuvrant dans ce secteur participent aux domaines de la construction, de l’aménagement et de la rénovation. Selon les communes, les personnes seules disposent, à titre d’exemple, d’un lieu de vie de 40m2, les couples de 60m2, les couples avec un enfant de 75m2 et ceux avec deux enfants ou plus de 90m2. Chaque ménage a la possibilité de choisir le style d’appartement qui lui convient. Il peut rester dans le même logement ou en changer quand il le souhaite. Parce qu’il offre la liberté de voyager, beaucoup de ménage partiront à la découverte d’autres régions où des logements meublés les attendent à tous moments. Si un appareil est défectueux, il suffit de l’apporter dans le centre de réparation le plus proche. Dans une société sans argent, adieu crédits immobiliers, les logements sont interchangeables.
– Nourriture : Une multitude de centres alimentaires et de restaurants de quartier sont disponibles au plus près des habitations. Les emballages écologiques sont rapportés sur place. La nourriture est biologique, ce qui est possible en réduisant l’apport en viande à quelques repas par semaine. Les personnes œuvrant dans le secteur alimentaire participent aux activités agricoles et d’élevage, à la production alimentaire, à la logistique des centres alimentaires et au secteur de la restauration. Dans une société sans argent, la nourriture est seine et respectueuse du vivant.
– Éducation : En plus de leur cursus général, les enfants acquièrent des niveaux de qualifications pour chacun des sept besoins fondamentaux. Ils se forment aux bases de la construction, ils participent aux activités agricoles, ils apprennent à cuisiner, ils apprennent les bases de la santé, …, pour obtenir un niveau 1 ou 2 puis vers l’adolescence, ils se spécialisent dans les domaines qu’ils préfèrent afin d’acquérir des niveaux de compétence supérieurs de 3 ou 5. À la majorité, ils approfondissent leurs connaissances pour acquérir des niveaux d’expérience supérieurs selon les métiers qu’ils affectionnent, sachant que 10 est le niveau de compétence maximum. Ainsi, lorsque la commune recherche des personnes pour subvenir à ses besoins, les niveaux requis sont lancés et chacun sait s’il peut s’inscrire.
Par exemple, le niveau de compétence d’une personne pour chacun des sept besoins fondamentaux est : 8 dans le secteur du Logement ( avec une spécialisation électricité ), 6 dans le secteur Alimentaire ( avec un spécialisation cuisine indienne ), 6 dans le secteur de l’Éducation ( avec une spécialisation en histoire et géographie), 4 en Santé, 5 en Production de biens ( avec une spécialisation en ébénisterie ), 6 en activités de Loisirs ( avec une spécialisation en handball ) et 4 pour assister des personnes âgées. Dans une société sans argent, chacun a la liberté de varier ses activités tout au long de sa vie.
– Santé : Libéré de la pression des lobbies, la recherche médicale génère des formes de traitements innovants. Les personnes œuvrant dans ce secteur participent aux activités de la santé et d’assistance aux personnes âgées. Par exemple, une personne qui a progressé au niveau 7 pour devenir infirmière peut plus tard pour varier son quotidien se spécialiser en dentisterie. Elle assiste des praticiens afin d’obtenir le niveau requis et elle sera libre de poursuivre des études pour obtenir le niveau 10 afin d’exercer comme chirurgien-dentiste. Une société sans argent est moins stressante, donc propice à une meilleure santé.
– Productions de biens divers : vêtements, meubles, ustensiles, électroniques, …, sont produits ou échangés avec d’autres communes. Innovation et recyclage permettent la réduction de déchets. Certains produits sont alloués à l’heure ou à la journée, comme les voitures. Dans une société sans argent, chaque objet est de bonne qualité et recyclé.
– Loisirs : 4 heures consacrées à la collectivité offrent la liberté d’avoir du temps pour soi, pour ses passions et pour sa famille. Certaines personnes préfèrent travailler le matin, d’autres l’après-midi, d’autres 8 heures dans la journée pour avoir du repos le jour d’après. Tout est modulable et réalisable grâce aux applications téléphoniques qui permettent de connaître les besoins de la commune. Une société sans argent donne du temps pour s’épanouir à travers mille activités gratuites.
– Retraite : Les retraités choisiront eux-mêmes à quel âge ils veulent se reposer. Beaucoup seront heureux de continuer à participer à la vie de la commune qui est source de lien social. Les personnes âgées ont la possibilité de résider dans des lieux de vie agréables. Adieu scandale des maisons de retraite hors de prix, chacun a l’assurance de finir sa vie sereinement.
Comme on le voit, l’ensemble des activités humaine se concentre exclusivement sur les sept besoins fondamentaux. En pratique, chaque personne peut varier ses activités hebdomadaires. Voici par exemple le planning hebdomadaire de personnes vivant dans une société sans argent:
– Jean, 27 ans, est célibataire et vit dans un appartement de 40m2. Il s’est spécialisé dans la construction. Voici le calendrier de sa semaine de temps offert à la communauté: le lundi, le mardi et le Vendredi matin: construction d’une école, le Mercredi après-midi: enseignement dans un lycée, le Jeudi matin: travaux agricoles.
– Marie, 36 ans, est mariée et elle vit dans un appartement de 60m2. Elle s’est spécialisée dans la médecine. Voici le calendrier de sa semaine de temps offert à la communauté : – le lundi et le mardi matin: elle travaille dans la clinique, le Mercredi soir : elle travaille en maison de retraite, le Jeudi après-midi: elle enseigne dans une université, le Vendredi matin: elle travaille en maison de retraite.
– Laure, 40 ans, est mariée avec un enfant et ils vivent dans un appartement de 75m2. Elle s’est spécialisée dans la confection textile. Voici le calendrier de sa semaine de Don : le lundi et le mardi matin: confection de vêtements, le Mercredi et le Vendredi après-midi: aide au centre alimentaire, le Jeudi matin: enseignement dans une école.
– Patrick, 63 ans, est marié avec deux enfants et ils vivent dans un appartement de 75m2. Il s’est spécialisé dans la dentisterie qu’il pratique 9 mois par an. Voici le calendrier de sa semaine le reste de l’année : le lundi, le mardi et le mercredi matin: enseignement dans une faculté, le Jeudi : travaux agricoles toute la journée pour avoir le Vendredi de libre.
Les multi-activités évitent la monotonie du quotidien et renouvellent le lien social.
Le but premier des communes sans argent est de coordonner tout ce qui est possible d’offrir pour que chaque individu soit heureux.
À l’ère moderne, un téléphone suffit pour connaître les besoins de la communauté où l’on réside et pour s’inscrire aux activités à accomplir. Si une personne souhaite exercer une activité déjà réservée, un système de roulement hebdomadaire se met en place.
Comment transiter vers une société sans argent ?
Certaines personnes envisagent un effondrement économique qui verrait ensuite la société s’organiser différemment. Parmi les scénarios positifs envisageables, deux sont réalistes :
1/ La création de communes sans argent. Les premières serviront de modèle et elles se reproduiront à l’infini pour faire progressivement basculer le système vers la désargence. Les conditions de vie seront de plus en plus difficiles sur Terre et beaucoup de personnes feront l’essai de vivre dans ces cités quelques semaines puis quelques mois. Estimant la qualité de vie proposée largement supérieure à leur condition de vie habituelle, elles demanderont à y demeurer toute l’année, avant d’être suivies par des millions de personnes.
Avantage : Cette transition favorisant l’émergence d’un système parallèle est réalisable tout de suite par les personnes prêtes à vivre cette expérience, sans forcer personne.
Difficulté : La construction d’une ville pionnière demande des fonds colossaux. La question se pose donc de pouvoir financer sa construction.
2/ La création d’une force politique internationale. Une fois au pouvoir, elle permettra une transition progressive ou à date donnée vers une société postmonétaire.
Avantage : Cette transition se fait par les urnes.
Difficulté : Cette solution demande l’adhésion d’un très grand nombre de personnes, une solide organisation et beaucoup d’années pour voir le mouvement grandir. Aussi, les lobbies actuellement en place feront tout pour s’opposer à ce nouveau modèle de société.
On le voit les possibilités de transition restent difficiles à réaliser. De nos jours, la majorité des gens cherchent à survivre pendant que les classes aisées sont attachées au pouvoir et à la reconnaissance que procure l’argent.
Pour ma part, la création de villes pionnières me semblent plus réalisables. Notre époque moderne permet de générer des fonds grâce à de nombreux outils internet, profitons-en. Les plus grandes fortunes actuelles, Bezos avec Amazon, Zuckenberg avec Facebook ou Elon Musk avec PayPal, ont construit leurs immenses fortunes grâce à internet. Imaginons un groupe de personnes qui développent de nouvelles applications dont les bénéfices iront exclusivement vers la création de ces premières villes sans argent !
Dans mon roman « La Dernière Conquête », j’ai conjugué différentes possibilités de transition. Mon héros Yao devient immensément populaire grâce à une émission de télévision. Il est ensuite ministre puis président et une fois au pouvoir il crée douze villes sans argent qu’il finance grâce à une chaîne de distribution alimentaire. Les profits engendrés sont reversés à la construction de ces villes qui une fois construites produisent à leur tour des biens qui sont distribués dans ces commerces. Ces villes connaissent un tel triomphe qu’elles se multiplient dans plusieurs pays et après l’opération de la « Dernière Conquête », le monde entier devient postmonétaire.
Je ne sais pas si j’aurai le plaisir de vivre dans un monde sans argent dans cette vie. Ce changement de paradigme nécessite une élévation de la conscience humaine.
Toutefois, une nouvelle génération voit le jour, qui est en recherche de sens et qui partage des valeurs d’altruisme et de générosité. C’est pourquoi je remercie Sébastien Augé pour son engagement, ainsi que toutes les personnes œuvrant pour un monde meilleur et juste.
Continuons à partager nos idées postmonétaires pour que la Terre retrouve sa pureté originelle, pour que les valeurs de Bonté et de Vérité prennent le dessus sur celles du pouvoir et du mal et pour que demain, enfin, une grande famille humaine voit le jour.